Eric Kaiser, artiste peintre

Critique

Eric Kaiser at Pi Gallery, article de Andrea S. Norris publié dans Review, octobre 2006, Kansas City.

Terror tourists, article de Alexandra E. Fox publié dans The Pitch, août 2006, Kansas City.
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Textes de Marie Annick Gaudare :

« Shelters »
Avec cette nouvelle série, Eric Kaiser s’inscrit dans le cercle très restreint des artistes peintres du début de ce XXIème siècle marqués par la tradition du portrait, comme Lucien Freud ou Elizabeth Peyton. Les personnages portraiturés sont associés, par une composition en diptyque, à un abri.
Le thème de l’abri fut motivé par les événements français de l’hiver 2006, couverts par les médias, qui mobilisa l’association des Enfants de Don Quichotte aux côtés des sans-domicile-fixe, des sans-abris, d’exclus de la société. Eric Kaiser allie ici préoccupations sociales contemporaines et représentation classique du portrait. Parmi les personnages représentés , on compte des anonymes, qui pourraient être un sans-abri ou le visiteur, mais aussi des célébrités politiques, religieuses, culturelles : le président iranien Ahmadinejad , le Pape Benoit XVI, Beckett… En associant des personnalités à des anonymes, il universalise ce besoin d’abri.
Tous ces portraits comportent une charge d’intimité, qui nous les rend proches, quels que soient les sentiments exprimés ou éprouvés à leur égard. Petit format et cadrage rapproché (parfois proche de la photo d’identité) soulignent le caractère privé de ces tableaux. Eric Kaiser se concentre sur l’expression saisie par surprise de visages, la plupart perdus dans leurs pensées, en dialogue intérieur, exprimant souvent une tension : doute, inquiétude, crispation, lassitude, tristesse… Et il parvient ainsi à doter les personnages officiels d’une apparence de privauté qui engendre une confusion. Si le Pape seul sourit, les militaires iraniens en arrière-plan inquiètent. Deux des portraits, par leur regard orienté vers le spectateur, nous interpellent. Le repliement de chacun sur lui-même est souligné par des espaces introvertis traduits par des arrière-plans frontaux sans ouverture, sans échappée, sans profondeur.
Les abris en vis-à-vis semblent appartenir aux personnages, la poubelle de Beckett, la croix du Pape, l’arène du toréador. Pour d’autres, ils se chargent d’énigmes : des maisons sans porte ni fenêtre, des trous, des cercueils, des boites, des constructions géométriques. Isolés de tout environnement architectonique, perdus dans des espaces sans repère à la ligne d’horizon haute, ils deviennent des entités abstraites et mystérieuses. Les ombres projetées prononcées dramatisent et théâtralisent. Portraits et abris sont nettement séparés par la composition en diptyque et par des espaces propres sans interpénétration. De mise en distance, incertaine, interrogative, la relation entre le personnage et son abri paraît méfiante, comme l’expression d’une impossible ou difficile rencontre, pourtant attendue.
Regards dubitatifs et inhospitalité des abris génèrent une atmosphère étrange, corroborée par les titres. A la manière de Dada ou des surréalistes, ils se construisent par association, hybridation, fusion, confusion de mots, qui à la fois explicitent et troublent. Ils créent des univers émotionnels nouveaux, riches de suggestions.
Le tracé du pinceau ou la trace du couteau qu’on suit sans difficulté, mais aussi les fondus de couleurs ou les rappels chromatiques d’un panneau du diptyque à l’autre, révèlent une technique à la fois maitrisée et intuitive qui renforce l’expressivité des personnages.
Dans ce dernier travail, Eric Kaiser n’intervient pas en qualité d’observateur extérieur, mais comme metteur en scène ou directeur d’acteurs qui met en évidence une dimension sociale et psychologique. A première vue cette série de portraits semble répondre aux attentes d’un constat sobre de la réalité, le propos est cependant moins la véracité de la représentation que la traduction des tensions qui habitent l’homme (issus des tensions propres de l’artiste, récurrentes dans son œuvre).

Marie Annick Gaudaré
professeur d’arts plastiques (Académie de Nancy-Metz)
Octobre 2007


« We Know But… »

Le nouveau travail d’Eric Kaiser, présenté également cette année à la Galerie Pi, exprime diverses préoccupations. D’abord une préoccupation iconographique : il cherche en effet à témoigner des traumatismes de son temps, en particulier des violences faites au corps, aux populations mais aussi à l’esprit de chacun d’entre nous lorsqu’il réalise son impuissance à agir, à réagir face à ces violences. Ce nouveau travail s’affirme ensuite dans un questionnement de peintre : la cohabitation entre une iconographie figurative (le corps et désormais les visages) et un espace pictural construit, autonome, quasi abstrait. Il tend à évoquer, dans cette dernière série, des espaces devenus lieux communs collectifs véhiculés par les médias : prison d’Abou Grahib, réacteur de Tchernobyl, terrain d’entraînement militaire en Irak, menace terroriste ou environnementale etc. Cette rencontre d’un regard politique et de l’acte de peindre, qui ne veut rien démontrer mais juste montrer, suscite, sollicite néanmoins la réflexion et le questionnement.

De l’acte de peindre, les toiles d’Eric Kaiser révèlent une jubilation dans l’exploration : explorer les potentiels plastiques de la couleur, maîtriser les hasards d’une matière picturale dégoulinante, s’affronter à la rigueur de la construction d’un espace… De ces multiples préoccupations prédomine toujours cependant celle de la représentation du corps : un corps montré qui s’oppose au corps enfermé, un corps glorieux qui s’oppose au corps humilié, un corps libéré qui s’oppose au corps dominé, un corps lumineux qui s’oppose au corps bafoué, nié, manipulé. Ce corps ne se débat plus entre lumière et ténèbres comme dans les travaux de la précédente exposition « Prisonniers de la lumière ». Ce corps a un visage, il devient même une partie de visage mais un visage privé de bouche qui ne peut que suggérer le contexte narratif, qui laisse à chacun le soin d’entendre sa voix intérieure. Ce corps/visage nous met face à une inquiétante réalité qui réveille en nous un sentiment d’impuissance et lâcheté : nous savons mais nous ne voulons pas croire ce que nous savons.

Marie Annick Gaudaré
professeur d’arts plastiques (Académie de Nancy-Metz)
Juin 2006
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Exposer à Kansas City est pour Eric Kaiser non seulement s’engager vers une reconnaissance mais aussi assumer la responsabilité d’un travail accompli. Cet engagement s’est révélé être un tremplin vers une libération, une personnalisation de sa peinture.
"J’ai eu longtemps besoin, dit-il, de m’assurer que j’étais un peintre dans l’idée de la tradition académique. Le travail de la représentation du corps participe de cette légitimité. Chez les artistes contemporains, je doute toujours de leur valeur de peintre. C’est cette valeur que je recherche et que j’admire chez des artistes comme Le Caravage, modèle et maître pour moi de l’expression de la lumière et de la tension. Pourtant je prenais conscience d’un désir de me détacher de ce travail académique, de cette idée du "beau" en peinture, d'aller au-delà du "Beau idéal" selon Winckelmann. J’étais encore prisonnier du corps idéal de l’académisme. J’admire Bacon qui est parvenu à s’en libérer. Exposer à Kansas City a déclenché ce renouveau et cette série : Prisonniers de la lumière."

Eric Kaiser commence à peindre dans une veine abstraite et lyrique. Croix et taches rythmées, matière picturale dégoulinante ou posée à la brosse composaient des écritures-peintures. Rapidement, il s’intéresse à la figuration du corps humain, à laquelle il accorde une place prépondérante dans la classification des genres picturaux. A Paris, en 1999-2000, Eric Kaiser est choisi parmi plusieurs peintres pour une présentation exclusive de ses tableaux et vend ses premières toiles. Cette première exposition impulsa la série Main.nu.tension, corps nus courbés, propulsés ou en pleine chute, aux visages disparaissant dans l’ombre, la main tendue au premier plan qui cache autant qu’elle montre.

Cette série nourrira toute l’iconographie des œuvres suivantes. Elle révèlera les principales préoccupations d’Eric Kaiser, le dialogue conflictuel entre ombre et lumière, entre drame, mystère, révélation. Elle révèlera encore la recherche d’une construction plastique maîtrisée articulant volumes en raccourcis, contrastes clairs-obscurs et plages de couleurs.

Il s’inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pour parfaire son métier de peintre. Il inaugure ensuite une série de portraits de ses proches, saisissant avec justesse leurs expressions.

Nombreux sont les artistes qui le font rêver de peinture. Il cite volontiers Le Caravage et la peinture religieuse pour leur virtuosité et leur réalisme qui le bouleversent, mais aussi Egon Schiele, Lucian Freud, Jean Rustin, Vladimir Velickovic pour leur représentation du nu masculin, et les autoportraits photographiques de Bill Viola pour leur force expressive. Sensible à la peinture abstraite, il puise une inspiration chromatique chez Sam Francis, la profondeur des noirs chez Soulages. Il en retient l’offre d’une projection ou d’une échappée dont la lumière en serait le vecteur. Attiré par la facture classique lisse, il élève parfois la représentation du corps vers une idéalisation abstraite.

Marie Annick Gaudaré
professeur d’arts plastiques (Académie de Nancy-Metz)
Juin 2005